Chère fan, cher fan,
Toi qui me suis depuis longtemps, toi qui a fait l’effort de venir me voir en concert, qui a cliqué machinalement sur mes publications, qui a parfois ri de mes blagues simplistes ou de mes costumes bariolés, toi qui sais que je ne serai jamais Johnny Hallyday…
Toi qui sais que j’écris des chansons pour traduire une émotion, je vais te raconter l’origine de l’histoire de ma nouvelle création, titrée « Adil, Ibrahima et les autres ».
C’était en avril de l’année dernière, je me promenais avec ma femme dans un parc à côté de chez moi. C’était un dimanche après-midi d’avril, ensoleillé. Ce parc était désert ou presque, il y avait juste une adolescente assise sur un banc et plus haut, dans ce verger fleuri par les premiers bourgeons naissants, un homme allongé sur l’herbe, captait, insouciant, l’énergie du soleil.
Soudainement, un motard de la police locale a surgi de nulle part et a roulé lentement sur la prairie jusqu’au banc où se trouvait la jeune fille. Puis il est allé près de l’homme allongé.
Il était interdit de se poser dans les lieux publics et les deux contrevenants ont dû dégager, sous mes yeux étonnés.
A ce moment précis, j’ai senti une émotion très forte, un étouffement, une colère noyée par l’incapacité de réagir. Que pouvais-je y faire ? Rien. Le respect des règles est applicable à tout le monde et la police a le droit d’exercer son autorité en tout lieu, même au milieu d’un parc communal méconnu du grand public. Même si les deux personnes interpellées étaient seules et sans risque de contaminer qui que ce soit.
Était-ce les prémices d’un changement de climat social où l’autorité commence à se manifester de manière affirmée autour de nous ?
Bonne question. Avançons dans le temps. La scène se passe la semaine dernière dans une rue d’Ixelles. Assis dans ma voiture, j’observe une homme qui sort des sacs poubelles de sa maison pour les déposer dans sa voiture, garée à quelques mètres. Par hasard, une policière de quartier le croise et l’interpelle directement : l’homme a oublié de mettre un masque pour franchir le pas de sa porte. Ce rappel à l’ordre est devenu banal. Les règles à suivre sont là et l’autorité aussi. L’étau de l’Etat se resserre.
Tu n’as jamais connu cette sensation désagréable ? Cette peur du képi ?
Quand tu observes la vie quotidienne, les caméras de surveillance qui épient tes mouvements, ne te sens-tu pas emprisonné ?
Mais ces non-évènements ne sont rien à côté des autres drames qui se sont succédé au cours de l’année écoulée.
Adil, jeune homme de 19 ans, perdait la vie suite à une course-poursuite avec la police anderlechtoise.
Ibrahima, 23 ans, perdait la vie en janvier dernier au commissariat de Saint-Josse.
Alors pourquoi se plaindre de quelques remarques d’un policier zélé ou d’un garde forestier qui te fait remarquer un dimanche matin, au milieu de la Forêt de Soignes, que tu as osé emprunter un chemin réservé aux chevaux alors que tu es sur un vélo !
Il y a bien pire dans la vie que ces petites restrictions de ta liberté individuelle, comme ces événements tragiques qui posent question : la police est-elle responsable du décès de ces deux jeunes hommes ?
Et Jozef Chovanec, et Mawda… et demain, qui fera la une des journaux ?
Faut-il avoir peur des forces de l’ordre ? Nos libertés sont-elles en danger ?
Comment pouvoir accepter un couvre-feu ? Pour combien de temps ?
Peut-on avoir toute confiance dans les dirigeants politiques qui nous gouvernent ?
Ont-ils pris les bonnes décisions, sont-ils compétents ?
N’assiste-t-on pas à la fin de la démocratie que nos parents ont connue ?
N’y a-t-il pas un basculement de notre société vers quelque chose de dangereux, aseptisé et contrôlé ?
Les mesures liberticides sont-elles momentanées ou vont-elles perdurer ?
Et toi, comment comptes-tu vivre dans ce monde du futur ?
Si tu votes socialiste, voteras-tu pour Elio Di Rupo et assisteras-tu à l’inauguration de la gare de Mons en 2025 ?
Si tu votes écolo, accepteras-tu de revendre ta voiture pour te déplacer en vélo ?
Et si on arrêtait de voter ? Et si le citoyen reprenait son destin en main ?
Bon, rassure-toi, je ne vais pas t’emmener sur le terrain politique, je n’aime pas ça. Je ne compte pas me lancer dans ce grand cirque même si j’aime faire le clown.
Bref, aujourd’hui ça fait un an que le jeune Adil est mort à Anderlecht et j’ai sorti une chanson qui parle des violences policières car c’est un sujet qui mérite que chaque citoyen se pose la question.
La chanson s’appelle « Adil, Ibrahima et les autres ». Elle n’aurait pas pu s’appeler « Amaury, Pierre-Edouard et Léopold » parce que l’on vit dans une société où le bourgeois est encore protégé… mais jusqu’à quand ? Les portes du pénitencier vont-elles bientôt se refermer ? Je te pose la question.
J’ai récemment entendu la chanson de Julien Clerc « Utile », qui commence par « à quoi sert une chanson si elle est désarmée… ».
C’est exactement ma philosophie, je pense que les chansons doivent servir à poser des questions, alors excuse-moi si je t’ai bousculé aujourd’hui comme le cheval du gendarme qui a bousculé une adolescente de 16 ans dans le bois de la Cambre, mais rassure-toi, tu ne vas pas en mourir. En ce moment, on meurt juste d’ennui. 😶😶
Toutes ces questions te permettront d’alimenter tes repas familiaux, de titiller ton beau-frère ou un oncle éloigné, si tu as l’imprudence d’organiser des dîners, bien entendu !
Allez, je te laisse découvrir le clip et si tu veux me dire ce que tu en penses en répondant à cet e-mail, je serai heureux de te lire et de te répondre personnellement.
À très bientôt,
Paul